Cancérologue réputé dans le monde entier et auteur de plus de 400 textes scientifiques de premier ordre, Peter Harper, qui a participé aux travaux du symposium sur la réduction des risques organisé par African Global Health et Diplomatic Courier, revient avec ALM sur la réduction des risques et sur les politiques de santé en matière d’anticipation des risques sanitaires.
ALM : Comment définiriez-vous la réduction des risques dans le contexte de la santé publique ?
Docteur Peter Harper : Il est clair que les différentes stratégies de réduction des risques, telles qu’adoptées et adaptées à chaque pays, peuvent jouer un rôle majeur pour aider les populations. Vous le notez bien, notre style de vie moderne, nos habitudes alimentaires, la pollution, la consommation excessive d’alcool, la sédentarité et surtout le tabagisme sont autant de facteurs à risque, tout un chacun peut identifier ces facteurs sauf que chez des millions de patients à travers le monde, les habitudes, ou plutôt les mauvaises habitudes, sont tenaces. Que devrait faire un médecin confronté à un patient qui est incapable de changer de comportement ? C’est là que la notion de réduction des risques entre en jeu en proposant aux patients des alternatives qui consistent à minimiser les conséquences néfastes d’une conduite à risque. Si vous ne pouvez pas empêcher une personne de prendre des drogues illicites : vous pouvez prévenir overdoses et infections. Il faut dire que l’approche de la réduction des risques fait partie intégrante de la prise en charge des toxicomanes, pourquoi donc ne s’appliquerait-elle pas au tabac et à d’autres produits à risque? Ainsi, les praticiens pourraient aider leurs patients incapables de décrocher de la cigarette traditionnelle par des substituts moins dangereux et réduire de la sorte les complications liées au tabagisme. Dans ce sens, les alternatives aux cigarettes combustibles ne sont certes pas inoffensives, mais elles représentent une amélioration significative de la santé des fumeurs, l’avantage étant d’évoluer vers des produits moins nocifs, un switch qui éliminerait la principale cause de décès, notamment en ce qui concerne les cancers du poumon. Ces alternatives aux cigarettes combustibles ne sont pas inoffensives. Personne ne dit que c’est complètement sûr, mais elles représentent une amélioration significative. Il y a des avantages de se diriger vers un produit moins nocif et cette migration éliminerait la principale cause de décès dans les cancers du poumon.
Quels sont les principaux avantages de l’adoption d’une approche de réduction des risques dans les stratégies nationales de santé ?
Quand on parle des réductions de risques, on pense aussi par rapport aux réalités sanitaires et humaines de chaque pays. Prenons, les dangers, pensez-vous que ce type de dangers va disparaître graduellement dans des régions comme l’Afrique. Non, au contraire. Dans les pays en voie de développement, et en particulier dans les pays du Maghreb, le nombre sera plus élevé. Le problème arrivera avec beaucoup plus de danger dans les 25 années à venir en raison de la jeunesse des populations, des changements des habitudes alimentaires et de la consommation du tabac qui est la seconde raison de cette maladie. Alors comment agir en amont? En s’appuyant sur les travaux des chercheurs et des scientifiques comme c’est le cas lors de ce symposium qui réunit plus de 35 pays et au moins une centaine d’experts qui sont aujourd’hui réunis pour apporter des solutions et pour améliorer nos données scientifiques pour anticiper les grands risques qui peuvent menacer les populations. Par exemple, dans le Maghreb et en Afrique, des dangers réels comme le stress hydrique, les changements climatiques, la désertification, la sécurité alimentaire, les épidémies et d’autres facteurs aggravants, la réduction des risques est un atout de premier ordre pour accompagner les politiques en vue de prévoir les dangers et d’en réduire considérablement l’impact.C’est pour cela que l’exemple de ce qui se fait au Maroc, avec les deux grandes conférences de Marrakech sur la réduction des risques, celle de Casablanca en 2023 et ce symposium, tous des événements de grande envergure organisés par African Global Health, dirigée par Docteur Imane Kendili, doit servir de guide pour les pays du Maghreb, les pays d’Afrique et le monde arabe.
Pouvez-vous partager un exemple où la réduction des risques a significativement amélioré les résultats en matière de santé ?
Cet ouvrage signé ici par une partie de ses auteurs et intitulé: Harm Reduction: The Manifesto 2025, sert de plateforme d’échanges pour mettre sur pied une vision commune de l’anticipation des risques avant leur impact. C’est le troisième volume, et nous sommes déjà à plus de 100 études publiées dans ce manifeste. Il apporte ici un ancrage scientifique pour nos futurs travaux et pour faire converger nos expériences mutuelles pour aider les politiques publiques à développer des solutions concrètes et efficaces. Je précise ici que le Maroc est désormais pionnier dans ce domaine et son expertise fait autorité en Afrique. Nous devons donc travailler ensemble pour préparer les moyens nécessaires pour faire face aux défis du futur. Cela passe par des politiques sanitaires fiables et efficientes. Cela passe par la concertation avec les autorités et les chercheurs, car la recherche joue ici un rôle essentiel. Il faut aussi intégrer les populations en situation de crise pour comprendre leurs priorités et les aider à y faire face avec efficacité. Car on ne peut plus avancer sans intégrer ceux que l’on appelle les patients. Ils sont partie prenante de toute la réflexion qui doit être exhaustive.
Quels sont les principaux obstacles à la mise en œuvre des politiques de réduction des risques dans les pays à revenu faible et intermédiaire ?
Les politiques publiques doivent s’inspirer des travaux des experts pour des approches spécifiques en termes de réduction des risques en santé. Encore une fois, revenons au tabac et aux cancers qui sont liés, un domaine qui est ma spécialité. On ne peut pas laisser un milliard de fumeurs sans protection. Le problème, c’est que si vous collaborez avec l’industrie, que vous soyez universitaire ou indépendant, vous êtes vraiment méprisé, ce qui est absurde. Nous devons nous engager pour la réduction des risques au même titre que pour les besoins de la vie quotidienne. Dans ce sens, une approche pragmatique et scientifique de la réduction des risques est fortement recommandée pour une réduction plus efficace des risques liés au tabac. Nous savons que les fumeurs fument malgré les risques pour leur santé. Ce que nous pensons être moins nocif est en réalité plus réglementé. Les cigarettes sont vendues légalement en Australie, par exemple, et les cigarettes électroniques sont interdites ou, du moins, vendues sur ordonnance. Nous devrions pouvoir faire la distinction entre les produits à base de tabac et les produits sans tabac. La réglementation devrait être proportionnée, juste et équitable. Nous devons protéger les jeunes et cibler le marketing auprès des fumeurs adultes. Il est également important de contrôler les ingrédients et les arômes en nous appuyant sur des données scientifiques et probantes.
Bio express
Parcours. Dr Peter Harper a suivi sa formation à l’University College et à l’University College Hospital (MB BS 1970) et est consultant de premier plan à l’hôpital Guy’s and St Thomas depuis plus de 25 ans. Il est à la fois médecin accrédité et oncologue médical. L’un des quatre associés fondateurs de la London Oncology Clinic, il avait pour vision une clinique exclusivement dédiée au traitement du cancer, offrant les plus hauts standards de soins internationaux dans un environnement de soutien de pointe, et fournissant également le soutien, y compris tous les soins auxiliaires nécessaires aux patients et à leurs familles. Auteur de plus de 400 articles et chapitres de publications à comité de lecture, il est reconnu mondialement pour ses travaux de recherche sur de nouveaux médicaments et le développement de traitements améliorés contre le cancer. Il a présidé ou été membre de nombreux comités exécutifs internationaux étudiant de nouvelles approches thérapeutiques contre le cancer, ainsi que de comités de rédaction de publications professionnelles. Il est actuellement membre de huit conseils consultatifs d’entreprises pharmaceutiques et de seize organismes professionnels à travers le monde, dont un comité de l’American Society of Clinical Oncologists (ASCO). En 2002, il a reçu la prestigieuse médaille Cino del Duca en reconnaissance de ses travaux sur le développement de nouvelles thérapies anticancéreuses et vaccinales. Pour son rôle de conseiller auprès du gouvernement français sur la prise en charge stratégique du cancer (membre du conseil d’administration de l’Institut national du cancer), il a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur, une distinction rare pour un ressortissant étranger.





