Compétitions
Depuis le 1er octobre, Agadir abrite la 16e édition du Festival Issni N’Ourgh International du film amazigh (FINIFA) qui se poursuit jusqu’au dimanche 5 octobre. Porté par le conseil régional Souss-Massa, la commune d’Agadir, l’IRCAM et le CCM, l’événement s’installe au cinéma Sahara avec une promesse claire : montrer un cinéma amazigh pluriel et structurer un écosystème encore sous-doté.
Au programme, 42 films en trois compétitions : amazighe, internationale et Prix national de la culture amazighe. Au menu également, des rencontres professionnelles, des master class et une programmation «Issni OFF» qui déploie le festival hors les murs jusqu’à Aït Melloul.
La compétition officielle amazighe, cœur battant du FINIFA, confie son verdict à un jury où se croisent création, critique et recherche : le réalisateur franco-algérien Amor Hakkar, l’artiste visuelle Mounia Boulaarassi (Université Ibn Zohr – FLASH Aït Melloul), le chercheur et formateur Moha Moukhlis (IRCAM), le journaliste culturel Aziz Ajahbili (Al Alam) et le spécialiste des arts de la scène Azeddine El Kharrat. Le message est assumé : fiction, documentaire ou formes expérimentales, le cinéma amazigh n’est plus cantonné à la chronique locale ; il revendique des écritures, des esthétiques et des sujets en prise avec leur temps.
En face, la compétition internationale élargit le champ des regards et place Agadir sur la carte des rendez-vous qui comptent. Le jury réunit le documentariste Petr Lom, la cinéaste Raphaële Benisty, la productrice-réalisatrice Corinne van Egeraat, le réalisateur gadiri Lahoucine Chkiri et la comédienne Fadila Belkebla. L’ambition est de taille : croiser droits humains et paysages, identités et migrations, récits intimes et enjeux globaux. La sélection mêle signatures confirmées et jeunes voix, d’Afrique du Sud aux Pays-Bas, d’Iran aux États-Unis, dans une logique d’échanges et de coproductions à encourager.
Troisième pilier, le Prix national de la culture amazighe, décerné dans le cadre des distinctions de l’IRCAM, rappelle l’ancrage patrimonial d’un cinéma de langue et de territoires. Le jury 2025, présidé par Brahim Hasnaouy, rassemble Noura El Azrak, Yassine Hourtane et Mustapha Sghir. Derrière la récompense se dessine une stratégie : consolider les écritures en amazigh, encourager la circulation des œuvres et valoriser des films qui font lien entre tradition, modernité et création contemporaine.
Le FINIFA ne se contente pas de projeter: il forme et fédère. Le programme «Issni OFF’ propose une master class de l’acteur M’barek El Aattach, lauréat du Prix Issni N’Ourgh Solidarité 2025, des projections-débats à la FLASH d’Aït Melloul, ainsi qu’une master class sur la production et les coproductions avec la productrice Tessy Fritz et le réalisateur François Baldassare. À l’hôtel Al Moggar, l’exposition de Brahim Adnor -entre peinture, calligraphie et motifs du tapis amazigh- rappelle que l’image amazighe déborde l’écran : elle est aussi langage plastique, graphisme et mémoire.
Rappelons que ce rendez-vous s’inscrit dans une histoire singulière. Il y a une trentaine d’années, le cinéma amazigh surgit en vidéo, porté par une poignée de producteurs et d’acteurs qui filment la ruralité, les liens familiaux et le quotidien. Entre 1992 et 2008, une vingtaine de sociétés alimente un catalogue foisonnant : près de 400 films vidéo, plus de 70 téléfilms et une vingtaine de longs métrages à ce jour. Des titres pionniers — Tamghart wurgh, Tigigilt, Boutfounast — ont conquis un public fidèle ; des figures comme Lahoucine Ouberka, Ibba Mamas (Amina Elhilali) ou Fatima Joutan ont façonné une mémoire populaire. En 2006-2007, l’initiative Film Industry de la SNRT fait entrer ce mouvement dans une autre dimension, avec 30 films produits, dont deux longs métrages remarqués (Tizza Wwoul, Taghssa). En parallèle, les festivals — dont Issni N’Ourgh, créé en 2007 — ont offert une scène, des débats et un effet d’entraînement.
Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si le cinéma amazigh existe : il faut l’accompagner. Les freins sont connus : financement rare, circuits de diffusion limités, formation intermittente. Mais la dynamique est là, portée par une nouvelle génération qui revisite patrimoine et modernité — on pense à Adios Carmen de Mohamed Amin Benamraoui —, par des passerelles avec l’international et par une confiance grandissante dans la pluralité linguistique. Comme le montre l’essor des séries multilingues, la langue n’est pas un obstacle si le récit emporte, l’adhésion vient de la force de l’histoire, de la mise en scène, du jeu.
D’où l’appel, récurrent mais légitime, à décentraliser le fonds de soutien : un mécanisme national, complété de guichets régionaux, permettrait d’ancrer la production là où se trouvent les talents et les décors, Souss-Massa en tête. L’amont (écriture, résidences, ateliers), l’aval (diffusion en salles, plateformes, itinérance) et l’éducation à l’image doivent progresser de concert. Le FINIFA, en rassemblant jurys, publics et professionnels, pointe une voie pragmatique : consolider les bases tout en ouvrant grand les fenêtres.
En somme, cette 16e édition assume trois verbes d’action : révéler les œuvres et leurs auteurs, relier Agadir au monde, l’amazigh aux autres cinémas et renforcer les outils qui manquent. Si la promesse est tenue, le festival ne sera pas seulement une vitrine : il deviendra un levier pour que la création amazighe passe du statut d’exception courageuse à celui d’évidence industrielle, durable, exigeante et pleinement marocaine. Pour l’heure, en tout cas, face à la diversité culturelle marocaine et le travail engagé pour la langue amazighe, l’avenir du cinéma amazigh et l’attention qu’on lui porte s’annoncent sous de bons auspices.





