Hydrogène vert : Le nouvel horizon du Maroc

Souveraineté, énergie abordable et diplomatie de l’hydrogène

Contribution : Dans un monde où la sécurité énergétique devient un enjeu politique majeur, le Maroc avance une vision équilibrée : l’énergie comme bien commun, facteur de stabilité et de prospérité partagée.

Mohamed Es-Sbai
Conseiller énergie à Confrontations Europe, enseignant à l’Université Paris-Dauphine et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le Maroc à la croisée des transitions. Sur la carte mondiale de l’énergie, le Maroc s’impose désormais comme un acteur à suivre. En quelques années, le Royaume est passé du statut d’importateur dépendant à celui de laboratoire à ciel ouvert de la transition énergétique. Son nouvel atoût? L’hydrogène vert, ce gaz produit à partir d’électricité renouvelable, présenté comme la clé de voûte de la décarbonation mondiale. Les 1er et 2 octobre 2025, Marrakech a, d’ailleurs, accueilli le World Power-to-X Summit, un rendez-vous stratégique organisé sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. L’événement, piloté par le ministère de la transition énergétique et l’Institut de Recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN), a confirmé l’ambition du Royaume : devenir un hub régional de l’hydrogène vert et de ses dérivés. L’Iresen, véritable bras scientifique de l’État, incarne cette montée en puissance. Il soutient la recherche appliquée, développe des projets pilotes et fait le lien entre chercheurs, industriels et territoires. Autrement dit, c’est lui qui transforme les ambitions en projets concrets.

Face à un contexte mondial marqué par la hausse des coûts, les tensions géopolitiques et le retour de discours climato-sceptiques, la ministre Leila Benali a rappelé que la transition énergétique ne se résume pas à une option environnementale. Il s’agit pour elle «d’une transformation économique et sociale». Derrière les technologies se jouent des questions de souveraineté, d’emplois et de justice territoriale.
Cette vision fait écho au débat européen autour du Plan d’action pour une énergie abordable, actuellement en procédure législative. Ce texte propose une transition à la fois écologique et soutenable, conciliant climat, industrie et pouvoir d’achat. Le Maroc partage cette philosophie. Comme nous le soulignons dans notre article Confrontations Europe, «Une énergie abordable pour l’Europe : surmonter la crise, réussir la transition» (à paraître en novembre 2025), les deux rives de la Méditerranée affrontent le même défi : rendre la transition juste, accessible et durable.

Une alliance franco-marocaine au service du futur

Lors de la visite du président Emmanuel Macron à Rabat (28–30 octobre 2024), un thème s’est glissé discrètement dans la moisson de contrats : l’hydrogène vert. Aux côtés de Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Catherine MacGregor (Engie) et Patrick Martin (Medef), la relance du partenariat franco-marocain a pris des allures de diplomatie énergétique nouvelle génération.
Le projet-phare concerne TotalEnergies et ses partenaires – Eren, CIP et Maersk – qui ont réservé des terrains à Chbika, dans la région de Guelmim-Oued Noun, pour bâtir un site de production d’hydrogène vert et d’ammoniac d’une capacité d’un gigawatt. Le schéma est limpide : soleil, vent et eau de mer produisent de l’ammoniac vert. L’électricité issue des énergies renouvelables alimente une usine de dessalement et d’électrolyse. L’hydrogène ainsi produit est ensuite transformé en ammoniac, plus simple à transporter. Objectif : 200.000 tonnes par an exportées vers l’Europe.
De son côté, Engie s’allie à l’Office chérifien des phosphates (OCP) pour décarboner la production d’engrais azotés, un secteur à la fois stratégique et énergivore. Les projets d’hydrogène de France et de MGH Energy, dans la région de Dakhla, complètent cet écosystème émergent.
Ce mouvement s’inscrit dans un contexte diplomatique nouveau. En reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, la France a levé un verrou politique majeur, renforçant la confiance des investisseurs et confirmant la place centrale du Royaume dans la transition euro-africaine.

L’«offre Maroc»: La clarté stratégique comme moteur de confiance

Derrière cette dynamique, il y a une méthode. Le Maroc a structuré son approche autour de l’»Offre Maroc», présentée dans la circulaire du 11 mars 2024, qui définit les conditions d’investissement et les incitations pour les acteurs nationaux et étrangers. Ce cadre donne ce que le secteur attend le plus : de la visibilité et de la prévisibilité.
Cette architecture repose sur trois piliers. Le premier renvoie aux infrastructures solides. Le Royaume déploie une stratégie gazière ambitieuse, avec une unité flottante de regazéification à Nador West Med et un maillage interne de gazoducs destinés à soutenir les projets d’hydrogène.
Second pilier et non des moindres, le capital humain qualifié. L’Iresen, via son réseau Power-to-X et ses programmes de formation, façonne la nouvelle génération d’ingénieurs et de chercheurs marocains.
Enfin, dernier pilier sur lequel repose la stratégie, le corridor énergétique et logistique intégré. De Tanger Med à Dakhla Atlantique, le Maroc se positionne comme plateforme de transit et d’exportation de molécules vertes.
Cette stratégie ne vise pas seulement à attirer des capitaux: elle veut construire une filière nationale complète, capable de créer de la valeur localement et d’inscrire le Maroc dans les chaînes de valeur mondiales de l’énergie bas carbone.

Une même ambition : Une énergie propre, sûre et abordable

Les défis marocains et européens convergent et se résument à la question suivante: comment assurer une énergie propre sans sacrifier la compétitivité ni l’équité ? Pour l’Europe, l’enjeu est de sécuriser ses approvisionnements en réduisant sa dépendance au gaz russe. Pour le Maroc, il s’agit d’ancrer sa transition dans un développement industriel et social durable.
Ce dialogue énergétique Nord–Sud redessine la carte géoéconomique du continent. Le Maroc peut fournir à l’Europe des molécules vertes compétitives et certifiées durables, tandis que l’Europe apporte son expertise technologique et ses capacités financières. Ensemble, ils posent les bases d’un modèle de coopération euro-méditerranéenne fondé sur la réciprocité plutôt que sur la dépendance.
Dans un monde où la sécurité énergétique devient un enjeu politique majeur, le Maroc avance une vision équilibrée : l’énergie comme bien commun, facteur de stabilité et de prospérité partagée.

In fine… le Maroc, éclaireur d’une transition juste

L’hydrogène vert n’est pas une mode passagère. C’est une pierre angulaire du nouveau modèle énergétique mondial – et le Maroc en a compris le potentiel stratégique avant beaucoup d’autres. Entre innovation, diplomatie et développement, le Royaume trace sa voie : celle d’un pays capable d’allier souveraineté, attractivité et durabilité. Dans un monde où la transition énergétique doit aussi être sociale et abordable, le Maroc ne se contente plus de suivre : il montre la voie.

 

Leave a Reply

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert