Philosophie
L’un des plus grands esprits de tous les temps, après des décennies de recherche et de travail assidu, est arrivé à une conviction qui ne souffre aucune ombre. Pour August Strindberg : « La conscience est la présence de Dieu dans l’homme ». Mais, aujourd’hui, dans ce monde où les uns et les autres tentent de survivre tant mal que bien, dans toutes les sociétés humaines globalisées, l’homme, c’est Dieu en ruines.

Sans aller jusqu’à citer la célèbre phrase de Friedrich Nietzsche sur la mort de Dieu, une citation toujours tronquée, puisqu’on en énonce le début et on oblitère la fin, car le philosophe allemand dit bien ceci : Dieu est mort de son amour pour les hommes. L’auteur du Zarathoustra précise :  « Dieu a aussi son enfer : c’est son amour pour les hommes ». Le sens n’est pas si difficile à saisir, même si la formule est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et qu’il faut d’abord connaître l’idée de Dieu dans toute la philosophie de Nietzsche pour cerner les subtilités de son propos. Le divin en nous meurt parce que l’humain échoue à s’élever au rang des divinités. Pourtant, l’humain porte en lui ce souffle divin, mais rares sont ceux qui arrivent à le faire rejaillir pour donner à leurs vies une dimension au-delà de leur humanité intrinsèque. Un peu de philosophie conduit à l’athéisme, mais une philosophie profonde conduit au divin. Même l’idée du Surhomme nietzschéenne est à prendre dans cette acception : c’est atteindre un idéal qui met l’homme au-dessus de lui-même, qui annihile ses petitesses, qui l’élève au rang d’une humanité augmentée, embellie, consolidée par l’air pur des hauteurs, au plus près des cîmes, loin des contingences de la plèbe beuglante. C’est de cela qu’il s’agit dans cette relation de l’homme au divin, et donc, à sa conscience. « J’ai vu un ange dans le marbre et je l’ai creusé pour le libérer », disait Michel-Ange. Dans ce sens, Alexis de Tocqueville nous dit ceci de vérifié :  «Il n’y a en général que les conceptions simples qui s’emparent de l’esprit du peuple. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie mais complexe ».  Ceci est d’autant plus marqué que nous évoluons aujourd’hui dans un monde qui porte en lui tous les ingrédients de la décadence et de la bassesse. Il est vrai que chaque époque possède son moyen âge. Mais aujourd’hui, nous vivons le cumul de toutes les mauvaises périodes de l’histoire humaine. Dans cette configuration, l’ordre, le vrai, le beau, ne sont ni connus, ni sentis, ni appréciés. Notre esprit est si gâté par le laisser-aller et l’outrecuidance de la société, que si l’on pouvait faire renaître la belle société, elle nous paraîtrait insipide. On vivrait dans un monde avec tous les penseurs de Sumer, de Babylone, de l’Égypte antique, de la Grèce, on côtoyait tous les penseurs latins et arabes, tous les sages indiens et chinois, tous les chamans de toutes les cultures, on ne se rendrait même pas compte qu’ils vivent parmi nous tant notre esprit est pourri et atrophié. Le principe même de l’élévation est inconnu à ce qui reste de cette humanité hagarde. Ni volonté de puissance, ni désir de grandeur, ni choix du beau face à la laideur engendrée en quantité industrielle dans toutes les sociétés humaines. Rien de tel, sauf l’inclination à la fange.  Quelle singulière chose de croire qu’on peut former un présent sans passé, qu’on peut planter un arbre sans racines, qu’on peut s’élever sans valeurs ! C’est faire le procès à tous les peuples, c’est mépriser l’opinion des plus beaux génies de l’antiquité et de l’époque moderne. C’est se fourvoyer sur toute la ligne. De nombreuses générations ont cru que leur mission était de refaire le monde. La nôtre devrait se donner pour mission d’éviter qu’il ne se défasse.  Mais un bémol s’impose ici : s’élever vers le divin n’obéit à aucun dogme. La sacralité dont il est question ici est celle qui vient de la pensée couplée à celle de l’esprit qui aspire à une profonde contemplation du monde et de notre finalité comme être humain qui pense, qui sent, qui réfléchit, qui crée, qui aspire à devenir la plus version de lui-même. Qui y aspire à tel point qu’il fera de sa vie sa propre œuvre d’art, à telle enseigne qu’il voudra revivre cette même vie, ad infinitum. Cela passe d’abord par la connaissance de soi pour devenir qui l’on est.  L’enseignement est un autre soleil pour ceux qui le reçoivent, a dit un jour Héraclite.  Cet enseignement naît de nos victoires sur nos limites et de nos échecs aussi. Une vie passée à faire des erreurs n’est pas seulement plus honorable, mais plus utile qu’une vie passée à ne rien faire, avait un jour répondu George Bernard Shaw à une connaissance qui lui avait reproché une certaine manière d’appréhender la vie. Le grand risque étant de ne rien faire.
Dans ce même élan, Sören Kierkegaard avait cette formule si juste : « Oser c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser c’est se perdre soi-même ». Car, au bout de toutes nos erreurs, arrive cet instant où la transmutation s’opère. « Au fond, c’est ça la solitude : s’envelopper dans le cocon de son âme, se faire chrysalide et attendre la métamorphose, car elle arrive toujours », disait August Strindberg. Mais la réalité des temps dits modernes est cruelle. Les temps du désert sont revenus, les religions repartent dans la stérilité de leurs origines, au milieu d’une idolâtrie redoutable, l’idolâtrie de l’homme pour lui-même. Albert Camus ose espérer : « Peut-être la suprême vertu de notre siècle serait-elle de regarder en face l’humanité sans perdre foi en les hommes ». Mais rien n’est moins sûr quand on se penche avec sérieux sur les réalités du monde où l’on vit aujourd’hui et surtout sur celui qui se profile à l’avenir. Force est de constater que le triomphe des démagogues est passager, mais les ruines qu’elles causent sont bien éternelles. On a beau former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur donner le meilleur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance, il n’en demeure pas moins que les temps sont gangrénés par un bacille indestructible, celui de l’inclination pour la petitesse dans toutes ses manifestations et ses ramifications. Avez-vous noté ces deux méthodes infaillibles utilisées en flux tendu pour briser la pensée en appauvrissant le langage des humains, en réduisant même le vocabulaire au strict minimum pour empêcher la nuance et la complexité. Avez-vous remarqué comme les sociétés modernes s’appliquent à créer des mots couvertures, des termes qui regroupent plusieurs concepts pour mieux les manipuler… et nous manipuler comme des marionnettes débiles et télécommandées. Les masses ne cherchent aucunement la vérité ni ce qui peut en tenir lieu. Au contraire, la foule tourne le dos aux évidences qui ne sont pas dans leurs intérêts et pas à leur goût. Les massent déifient l’illusion, la fausseté et le culte de l’erreur à telle enseigne que celui qui peut entretenir leurs illusions devient leur maître. Mais celui qui veut détruire cette illusion et lever le voile sur le mensonge devient leur ennemi et partant leur victime.  De fait, nous sommes entourés de phénomènes difficiles à comprendre pour nos petits esprits d’humanoïdes pensant être au fait des mystères de ce monde alors qu’ils en ignorent presque la totalité. On peut continuer à ignorer ces réalités, mais il est impossible d’ignorer les conséquences de cette même réalité et surtout l’impact de l’avoir ignorée. Dans ce cheminement qu’est l’existence, nous devons savoir discerner l’essentiel de l’insignifiant tout comme nous devons savoir choisir nos batailles et tourner le dos aux futilités et aux distractions. Sur cette trajectoire, il est crucial de rester ferme face à l’idiotie ambiante. Le monde qui est aujourd’hui si malsain est le résultat direct de notre système de pensée et de croyances. Pour forcer le monde à changer, les uns et les autres doivent d’abord lutter contre la fausseté de leur propre système de pensée. Ils doivent faire le solde du passé, réagir dans le présent et se débarrasser de la peur qui paralyse leurs esprits ankylosés. Sans oublier que beaucoup d’entre nous pensent qu’ils pensent alors qu’en réalité ils sont juste en train de réorganiser leurs préjugés. Ceux-ci sont les plus nuisibles. Presque personne n’est capable de voir le monde, les êtres et les choses tels qu’ils sont. Les gens voient le monde tel qu’ils sont et projettent sur l’existence leurs états d’âme et d’esprit. D’où cette somme considérable d’erreurs, de faux jugements, de fausses vérités, de malentendus et d’égarement frôlant toujours le pire. Face à cela, il faut garder à l’esprit que celui qui ne sait rien, n’aime rien. Celui qui n’est capable de rien, ne comprend rien. Celui qui ne comprend rien est sans valeur. Mais celui qui comprend aime, observe, voit… Plus on en sait sur une chose, plus grand est l’amour, disait Paracelse. En un mot : Le vieux monde se meurt. Le nouveau peine à prendre forme. Voici venu le temps des monstres.

 

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