Dans l’univers de Mehdi Alami, le cubisme devient un moyen de réinterpréter le patrimoine marocain, de le redonner à voir sous un jour nouveau. Alliant tradition et modernité, l’artiste parvient à offrir une vision personnelle et vibrante de son pays, où chaque œuvre devient une invitation à revisiter l’histoire et les racines d’une culture, tout en s’ouvrant à l’avenir. Né en 1975 à Rabat, Mehdi Alami s’impose, en effet, comme l’un des artistes autodidactes les plus singuliers de la scène marocaine contemporaine. Sans formation académique formelle, il a construit patiemment un univers plastique où la rigueur géométrique du cubisme dialogue avec la chaleur symbolique du patrimoine marocain. Son aventure picturale débute véritablement durant la période du confinement: moment de repli et d’introspection qui devient pour lui un terrain de recherche intérieure. La peinture s’impose alors comme un refuge et un exutoire, un espace de liberté où fusionnent la quête de soi, la redécouverte des racines et la volonté de réenchanter le réel. «Le Maroc possède une scène artistique florissante, mais mon défi a toujours été d’apporter un souffle différent, un regard neuf et inspirant», confie-t-il. Dans l’œuvre d’Alami, le cubisme n’est pas une imitation de style, mais une grammaire de déconstruction au service du sens. L’artiste réinvente le vocabulaire picassien, lignes brisées, plans superposés, visages éclatés, pour raconter autre chose : l’âme plurielle du Maroc. Les motifs géométriques empruntés au zellige, les aplats de couleurs vives inspirés des tapis berbères ou des souks, et les silhouettes stylisées de musiciens, cavaliers ou animaux sacrés s’y entremêlent avec une fluidité saisissante. Chaque toile devient une mosaïque d’identités, un hommage à la diversité culturelle du pays, amazighe, andalouse, arabe, africaine, que l’artiste sublime dans une harmonie visuelle lumineuse.
Les sujets de Mehdi Alami – le guerrab, la femme berbère, les musiciens gnaoua, les chevaux de la fantasia – sont autant d’icônes d’un Maroc intemporel. Mais ces figures ne sont pas figées dans la nostalgie : elles sont revisitées, fragmentées, dynamisées.
Le Guerrab, par exemple, devient un symbole du don et du mouvement ; la Berbère, un visage morcelé entre fierté et douceur, incarne la pluralité des identités féminines marocaines. Les animaux, quant à eux, rappellent la peinture totémique africaine : un bestiaire spirituel où chaque regard semble chargé d’intelligence !
Il est à noter que les œuvres de Mehdi Alami se caractérisent par la maîtrise du langage cubiste, mais sans froideur ni rupture. Là où le cubisme historique (Picasso, Braque, Léger) décompose le réel pour le reconstruire intellectuellement, Alami l’ouvre à la chaleur du vivant.
Chez lui, les formes géométriques ne sont pas des abstractions cérébrales : elles sont porteuses d’une mémoire populaire. Chaque segment, chaque facette raconte un Maroc vibrant, celui des marchés, des cavalcades, des musiciens de rue, des rituels.
Questions à Mehdi Alami – artiste peintre
«Mon défi est de traduire l’héritage sur la toile sans tomber dans le folklore»
ALM : Quels sont vos thèmes et inspirations de prédilection ?
Mehdi Alami : Au départ, j’ai exploré un peu tous les chemins : le paysage, l’abstraction, des approches plus libres ou intuitives. Certaines toiles étaient belles, mais il leur manquait quelque chose d’essentiel : une âme, une vibration. Un jour, je me suis posé cette question simple : qu’est-ce qui, dans notre culture, reste vivant, coloré, intrigant, intemporel ? La réponse s’est imposée d’elle-même : le patrimoine marocain. Ses costumes, ses musiques, ses chevaux, ses gestes ancestraux, tout y respire la beauté et la mémoire. Mon défi était alors de traduire cet héritage sur la toile sans tomber dans le folklore ou la répétition. J’ai cherché un langage capable de renouveler le regard : le cubisme m’a offert cette structure, cette liberté de recomposer le réel, de jouer avec les formes et les plans. C’est ainsi qu’est né ce mariage entre cubisme et patrimoine, entre modernité et tradition.
En tant qu’artiste autodidacte, quels ont été vos plus grands défis ?
Exprimer une idée sur une toile sans formation académique n’est pas un exercice facile. Cela exige davantage d’expérimentation, de persévérance et de rigueur. Quand on débute seul, on essuie beaucoup d’échecs : les «tableaux ratés» sont nombreux, mais ils font partie du processus d’apprentissage. Il faut accepter de recommencer, encore et encore, jusqu’à trouver sa voie. Être autodidacte, c’est aussi lutter pour sa légitimité. Il faut prouver que l’on a sa place, même sans diplôme ni galerie derrière soi. Mais c’est aussi une force : cette liberté de créer sans contrainte, de chercher, de douter, de s’affirmer. Et puis, il y a la passion. C’est elle qui permet de tenir bon, de continuer à peindre même quand rien ne semble avancer !
Votre style est aujourd’hui clairement identifiable. Comment le définiriez-vous ?
Je dirais que c’est un cubisme marocain, un langage géométrique et coloré au service d’un imaginaire profondément enraciné.
Mes toiles racontent une histoire : celle d’un pays qui conjugue la mémoire et le mouvement, le geste ancien et la lumière d’aujourd’hui.
Chaque œuvre est un puzzle d’émotions : les lignes traduisent l’énergie, les couleurs la joie, les motifs la mémoire. Je peins le Maroc non pas tel qu’il est, mais tel que je le ressens : vibrant, pluriel, généreux.
Que souhaitez-vous que le public ressente face à vos tableaux ?
Je ne cherche pas à ce que mes toiles soient comprises de manière intellectuelle, mais ressenties. Si le spectateur se sent touché, surpris, ému, alors le pari est gagné. J’aimerais qu’il voie dans mes œuvres une autre manière d’aimer le Maroc : à travers la couleur, la géométrie, la lumière. Mon vœu le plus cher c’est que ces toiles transmettent une forme d’énergie positive, qu’elles fassent du bien, qu’elles rappellent à chacun la beauté de ce que nous portons en nous et autour de nous.





